Lucian Vasilescu, né en 1958, poète et journaliste, a publié plusieurs recueils : L’Événement du jour – un poème vu par Lucian Vasilescu (Prix du Premier Recueil de l’Association des Écrivains de Bucarest, 1995), La mécanique du poème d’amour (Prix de Poésie de l’Association des Écrivains de Bucarest, 1996), Le Sanatorium des maladies discrètes (Prix de Poésie de l’Association des Écrivains de Bucarest, 1996), Alcool médicinal. Le Musée des événements de cire (2000) et Sans cela, tout serait inutile (2006).
Il a également publié trois recueils en collaboration avec d’autres amis poètes : Manuel de littérature (signé par sept poètes roumains, 2004), Confort deuxième degré amélioré (en collaboration avec Ioan Es. Pop, 2004) et À coeur joie (en collaboration avec Ovidiu Genaru, 2008). Lucian Vasilescu est aussi l’auteur d’un livre d’entretiens intitulé Mille neuf cent quatre-vingt-douze – systèmes de survie (1992).

traduction
Lucian Vasilescu
(Roumanie)
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Voyage à travers la ville pliante

On ne peut rien écrire. C’est à peine si l’on peut transcrire. Mais pour cela il faut avoir une tristesse luxueuse, décapotable, pour faire un tour dans la ville pliante. Il faut aussi que cette tristesse dont l’on parle ici ait six vitesses : quatre pour aller de l’avant, une pour la marche arrière et encore une, la sixième, spéciale. Lorsque personne ne regarde, c’est celle-là qu’il faut enclencher, la sixième, celle qui t’emmène dans la banlieue de la ville pliante, dans les endroits interdits, où poussent des arbres en papier. Sur lesquels on égratigne son nom et on dessine un
coeur. Puis il faut écrire des mots sur les feuilles. L’automne vient tout seul et les feuilles tombent sous le souffle du vent froid. Les mots tombent en même temps que les feuilles. On les transcrit avec attention et voilà tout. C’est fini.


Un autre voyage à travers la ville pliante

Un jour viendra où j’ouvrirai la fenêtre et je sortirai. Au septième étage, l’air est dur. Comme l’asphalte. Je prendrai ma voiture, j’écouterai de la musique. Je m’en irai. Au septième étage, l’air est dur. La terre restera derrière moi. Les cieux s’ouvriront.
Les cieux se sont ouverts.  J’accélère, j’écoute de la musique. Dieu me voit, je me rapproche. Le moteur ronronne.  L’éloignement est en train de naître.
J’écoute de la musique. This is the road to hell. Rien de ce qui était n’est plus comme avant. Aux carrefours, je regarde les panneaux : par ici Dieu, par ici soleil, par là rien. Je prends ma décision à la dernière minute. Je tire sur le volant, je dérape, je sors dans le décor, j’essaie l’impossible, je me heurte contre un nuage.
Au septième étage, l’air est dur. This is the road to hell. Et la musique s’entend toujours.


le soleil se couchait en enroulant ses quenouilles de lumière. dans la forêt des doubles vitrages un autre jour venait de passer. un jour clair. des nuages d’essence faisaient tourbillonner le coucher du soleil. je fixais l’abîme et j’attendais les étoiles. de néon, sans pareilles, fées malfaisantes. pour trouver ma moitié parmi elles. j’attendais, une boucle dans
l’une des oreilles et dans l’autre un casque bluetooth.

le crépuscule était bleuâtre. comme un cadavre décomposé au troisième étage d’une HLM désaffectée, déserte. des studios HLM.

j’ai fermé les yeux et j’ai écouté le susurrement des tramways sur les rails. je me recroquevillais de bonheur et j’avais l’impression d’être le propriétaire
de cette sublime soirée. et de la nuit qui te portera vers moi, toi qui es si terrible.

telle que je rêvais de toi en ma jeunesse. enveloppé dans une tristesse sommaire et translucide. la tête coiffée de couronnes tressées de câbles.
rouges, verts, jaunes, gris. quelques-uns étaient attrayants, d’autres coaxiaux. tu me manques si fort que j’en deviens fou. ton ombre me manque si fort. m’entends-tu ? les larmes mouillent mes yeux. Comme le mur mouillé de la maison, sur lequel je me soulageais, frissonnant de bonheur.


le crépuscule était bleuâtre. comme un cadavre décomposé au troisième étage d’une HLM désaffectée, déserte.

au quatrième il n’y avait que moi. je logeais chez dieu, je lui payais un loyer. je grommelais des mots incompréhensibles. j’écrivais avec mes ongles sur les murs. je mordais l’air. je devenais fou.

je t’entendais de plus en plus souvent jouer au piano qui se trouvait dans la buanderie.
j’entendais les vitres exploser, les tuyaux s’ébranler, les cieux se briser.

maintenant je ne suis plus. il n’y a que la musique qui vit toujours.
lorsque le vent murmure parmi les petites culottes qui sèchent dans la buanderie.


au quatrième il n’y avait que moi. je logeais chez dieu, je lui payais un loyer.

je lui ai dit ce que je croyais, puis s’est installé un silence à carreaux rouges et blancs. regarde-moi dans les yeux, regarde mon visage. mon visage à carreaux rouges et blancs comme une nappe.

nous sommes là, face à face, à nous regarder dans les yeux, nous nous regardons en silence. touche-moi. c’est moi, le vrai. tombé au ciel, élevé.
allongé entre un dénouement et un autre, pas encore entamé. tu sais, tu es le seul à savoir que c’est seulement maintenant que je suis un homme
accompli. que je n’ai pas toujours été ainsi. que parfois j’ai nourri des espoirs. maintenant je vais bien, je me suis défait de mes péchés.

reste encore un peu, allume ta cigarette, demande encore du vin. bois et fume. vis à fond. laisse tomber les cendres sur mon visage à carreaux rouges et blancs. demande à nouveau du vin. renverse le verre. lève-toi. rentre à la maison en chancelant.

si j’étais toujours en vie, je n’aimerais écrire que sur toi. tel que tu es maintenant. ivre. en ruine. désert.


reste encore un peu, allume ta cigarette, demande encore du vin. bois et fume.
vis à fond.

je bricole en cachette un oiseau. un oiseau rampant. souterrain. Un oiseau sans ailes ni pattes. qui ne chante pas. qui ne vole pas. qui ne sait pas
qu’au-dessus de la terre il y a un autre monde. qu’un dehors existe.

un oiseau terreux, à crête bleue. c’est lui l’oiseau des contes de fées. que je bricole en cachette. il rêve de chanter et il rêve de voler. et ses rêves peuvent
parfois faire le printemps. dans le monde dont il ne sait rien. Dans le monde du dehors. aux papillons, aux fleurs et aux trilles. aux amours, aux séparations, aux dentelleries. dans lequel mon oiseau terreux rêve de chanter, qu’il rêve de connaître. il rêve qu’il est en train de voler.

mais de la terre, il n’y a que la terre que l’on peut voir au-dehors.


· poèmes tirés de l'Anthologie de la poésie roumaine contemporaine, choix et traductions par Linda Maria Baros in Confluences poétique (140 p.),
Paris, France, 2008

·
· voir aussi les poèmes de ZOOM - ROUMANIE. Dossier de poésie - Treize poètes roumains contemporaines (86 p.), choix et traductions par
Linda Maria Baros, in Électron libre n°  4, Maroc, 2008

· voir aussi le poème publié dans le Dossier de poésie contemporaine - Neuf poètes roumains (5 p.), traduit par Linda Maria Baros, in VERSUs/m n° 2, 2006


traduction © Linda Maria Baros
biobibliographie © Linda Maria Baros
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