Gabriel Chifu, né en 1954, est poète, romancier et rédacteur en chef de la revue Ramuri.
Actuellement, il est le secrétaire de l’Union des Écrivains de Roumanie.

Gabriel Chifu a écrit dix recueils de poèmes (Abri dans le coeur, Le réel ruptif, Une interprétation du Purgatoire, Le fin du fin, L’homme sans bornes, L’histoire du pays latin de l’Est, Aux abords de Dieu, Le bâton de l’aveugle, Le verrou d’or, Cent poèmes) et sept romans. Ses écrits ont été traduits en une dizaine de langues et ont reçu trois fois le Prix de l’Union des Écrivains de Roumanie.

traduction
Gabriel Chifu
(Roumanie)
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Dans la rue je rencontre l'être argenté

le matin je rencontre dans la rue l’ironique et le charmant et
le doux postmoderne être argenté.
il est dans un piteux état, incertain et multiple :
à la place du visage il a deux horloges à pendule,
leurs aiguilles tournoient, ahurissantes, en pagaille.
il souffle dans un clairon pour annoncer quelque chose,
cogne dans une trompette, mais on n’entend rien,
il a beaucoup d’yeux, beaucoup de coeurs.
beaucoup de bras, de jambes et d’ailes.
il a des niches, des étoiles, des tours et des échelles.
il est fait de verre, d’aluminium, d’éclairs, de lettres,
de vagues, d’odeur de laurier.
il est transparent, il est fait de terre et il est
liquide à la fois, il brûle.
il commence auprès de moi et finit à la lisière
de la ville ou dans le lointain, dans le ciel, dans les livres ou les grottes.
il me dit
(je ne sais même pas comment il parle, il n’a pas de bouche) :
viens, toi aussi, dans mon monde en devenir,
dans mon monde joyeux, ludique, accueillant.
il m’emmène. me pose à la boutonnière comme si j’étais une fleur.
ma nouvelle position sociale me réjouit.
je me colle contre l’être argenté
comme un timbre contre la lettre qui voyage dans le lointain.
absolument soumis,
je me tisse, je me colle, je me soude contre la peau
de cette trop tardive et défectueuse et cosmique déité.


Quatre éléphants

quatre éléphants tristes marchent au long d’un chemin désert
et portent sur le dos mon monde à moi. en fait
ils portent sur le dos un livre immense
dans lequel je suis enfermé.
à la page 2 la pluie me rattrape, je nage dans
une rivière et j’arrive même à m’y noyer.
à la page suivante je tombe éperdument amoureux.
un chapitre plus tard je la quitte/elle me quitte.
à la page 101 un vers noir choit
de mon coeur et tout s’obscurcit,
il fait nuit en plein jour.
à la page 102 l’église est emportée par le vent
et se perd à l’horizon.
à la page 200…, je n’ai aucune idée sur ce qui arrive,
la page est blanche, le livre est en train de s’écrire
à mesure que je bouge à travers ses pages.
quatre éléphants endormis portent sur le dos
un livre terrifiant vivant
dans lequel je suis emprisonné.
quatre éléphants tristes errent au long d’un chemin désert,


Discussions littéraires

je laisse mon corps dans les bureaux de la rédaction pour qu’il porte
d’interminables discussions littéraires.
j’en sors sans regret comme d’une chambre d’hôtel très bon marché.
je passe solitaire – pèlerin à travers
des pays abstraits, des pays agonaux, des pays pyramidaux,
des pays invisibles.
j’arrive auprès d’un mot ancien
que paul dit il y a deux mille ans.
les doigts de mon regard le touchent.
les pieds de mon regard l’escaladent comme une montagne.
un éléphant pressé approche,
à peine ai-je le temps de l’éviter,
il piétine le mot et le casse,
une mer rouge ancienne s’en déverse,
inonde tout autour, des vagues déchirées arrivent
jusqu’aux bureaux de la rédaction – je ne sais pas nager,
j’aimerais appeler les maîtres nageurs.


· poèmes tirés de l'Anthologie de la poésie roumaine contemporaine,
choix et traductions par Linda Maria Baros in Confluences poétiques (140 p.),
Paris, France, 2008


traduction © Linda Maria Baros
biobibliographie © Linda Maria Baros
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