Grete Tartler, née en 1948 à Bucarest, est docteur ès philosophie, mais possède également une maîtrise en littérature et en musique.
Depuis 1970, elle a publié douze recueils de poèmes, dont le plus récent est intitulé Materia signata (2004). Elle a également écrit six ouvrages d’essais et cinq recueils de poèmes pour enfants. Ses poèmes ont été traduits en français, anglais (Orient Express, Oxford University Press, 1990, Fleur Adcock trad.), suédois (Med fyra vingar, AB Gondolin förlags, 1995, Ion Milos trad.), allemand, espagnol, grec, turque et italien.
Grete Tartler est aussi traductrice d’allemand (Goethe, Patrick Süskind), d’arabe classique, d’anglais et de danois (Hans Christian Andersen). Mais, elle a également traduit des auteurs roumains en allemand pour la revue Neue Literatur.
Ses écrits ont reçu le Prix de poésie de l’Académie roumaine et, à trois reprises, le Prix de l’Union des Écrivains de Roumanie.
Entre 1992 et 2008, Grete Tartler a travaillé en tant que diplomate à Vienne, Copenhague, Reykjavik et Athènes.
À présent, elle est professeur d’université et chercheuse dans le cadre du centre Paul Celan à Bucarest.


traduction
Grete Tartler
(Roumanie)
Sahel

Chaque année le désert
(avec un d de « dieux »)
gagne une quinzaine de kilometres
(avec un k de « karma »)
fait tarir les sources
(avec un s de « savoir »)
fait tarir de plus en plus les mots.
De plus en plus affamé, le dictionnaire -
des essences s’arretent un instant
en plein saut au-dessus de l’abîme,
puis blanchissent sur la terre craquelée.
Le poete guette
les crânes purs des mots ;
les mots encore vivants et affamés
guettent le poete.

Voyage au soir

La maison se remplit d’un silence de feuillettement ;
pere lit le journal, Ana un auteur grec ;
moi, je trie (tout en jetant) des livres avec des explorateurs.

Maintenant nous traversons les ravins dans un traîneau
tiré par des chiens ; les aboiements, les accents des ornieres montrent que
meme les chiens peuvent, au besoin, s’entendre.


Des soucoupes volantes dans le ciel - des nouvelles secretes.
Quelque part un philosophe avait enterré un rayon ;
des traits oblongs - des témoignages - dans la neige de nerfs.

Des boules d’années passent a côté de l’oreille,
l’avalanche - correction du texte - nous menace.
On t’a bien sur déja menti, a toi et a toi ;

mais tu ne t’es pas arreté, car cela aurait été pour de bon,
et tu ne peux déchiffrer le sang coulé,
car tu n’es pas le lecteur, mais une partie de l’énigme.

Le tapis volant

L’été, au bord du lac
entouré d’HLM blanches bleues
sortent quelques gens pour bronzer
d’autres pour laver des tapis.

Et je me souviens de la fillette
qui a sauté par la fenetre
un paillasson qu’elle croyait volant dans les bras -
il en était peut-etre ainsi, sachant qu’on l’a rattrapée
a temps.


Et toi tu agrippes avec acharnement
l’herbe brulée, bien ancrée dans la terre,
et tu vois a travers les paupieres serrées
un ballon rouge
ricocher contre un mur :
de surcroît, tu t’es acheté au bazar
une montre qui arrete
le temps.

Le poete aux Galápagos

A la fin du millénium un groupe de touristes
trouverait aux Galápagos
seulement quelques poetes :
on a mangé les tortues il y a bien longtemps,
un pinson étrange
a arraché ses propres yeux
avec une épine -
seuls les poetes ont résisté, ils n’ont
rien de bien intéressant
(meme s’ils ont, eux aussi, une carapace
et marchent parfois tres lentement)
ils se tiennent la et regardent l’horizon et attendent
que leurs petits sortent des livres

tandis que les touristes demandent des cartes postales
montrant ces objets bizarres.

L’oiseau blanc

Dans le métro
deux oiseaux blancs
attachés
picorent quelques graines
tombées de la musette du paysan qui vient de descendre.
Il y a encore beaucoup de temps jusqu’au Jugement.

Et l’un des oiseaux, apporté de l’Orient,
me regarde dans les yeux. Ceci veut dire
qu’il me reste encore du temps a vivre. Car vers les malades,
disent les vieux bouquins,
il ne tourne plus la tete.
Et il y en avait un qui essayait de l’amadouer
il lui tendait des noix et l’appelait et lui chantait,
mais l’oiseau ne voulait pas le regarder.
Mais l’oiseau non et non.
Des monarques l’avaient appelé pour leur prédire le futur.
Il était conduit de maison en maison
et quelques-uns avaient peur de le laisser entrer.
Et maintenant il est ici

a côté de moi
et voit quelque chose qui m’échappe.

La premiere neige

Le professeur ramasse les devoirs sur table :
1) ce qui est bon   2) ce qui est mal
3) ce qui est dur   4) ce qui est léger

Bonne est la liberté. La vie. La compote de peches.
La chose propre. Il est bien de vivre aussi bien que possible.
D’aider un ami.

Il est mal de casser une vitre. De faire un croche-pied.
De ne pas vivre. De faire la guerre. L’oubli.
De jeter des pierres. De traverser une rue en courant.


Il est dur de dire la vérité. Un corps dans l’univers.
De vivre en ayant peur. De rester seul.
Dure est une barre de fer.

Léger est le grain de blé. De faire tout ce que tu aimes.
Le ciel. Un flocon de neige. De jouer.
D’inventer un mensonge.

« J’aurais mieux fait de leur demander
quelle est la couleur de la premiere neige », se dit le professeur.
Les éleves murmurent. Se parlent a l’oreille.
Une fille éclate en pleurs.



· poèmes traduits par Linda Maria Baros pour la lecture-rencontre Lire en fete, Institut culturel roumain de Paris, octobre 2008


traduction © Linda Maria Baros
biobibliographie © Linda Maria Baros
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